Les deux aveugles

Le vieil homme n’est pas né de la dernière pluie. Il a bien remarqué que son compagnon est sur le point de s’éborgner. À première vue, c’est juste une petite branche. À peine plus large qu’une paille. Mais elle pointe dangereusement vers l’œil du jeune homme.

Le sage se pose comme une référence. Il pointe du doigt le malheureux. Il le saoule de ses recommandations. L’insensé n’est même pas conscient du danger. L’écharde est si proche qu’elle lui est quasiment invisible. Un pas de plus et c’est le drame.

Comme assis sur un trône, les pieds bien campés sur les marches, l’ancien réclame toute l’attention de l’infortuné. Mais il doit bien s’avouer qu’il est un peu mal à l’aise. Son horizon s’est bizarrement obscurci. Il ne comprend pas trop ce qui lui arrive. Quelque chose le gêne. Il ne sait pas trop quoi. Mais ça le gêne.

Quel fou ! Il ne se rend pas compte qu’aveugle lui aussi, il précipite l’innocent vers son malheur. Comme il est bloqué par la lourde poutre et qu’il veut avoir le dernier mot, il ne voit qu’une seule solution. Il ne pense qu’à faire avancer vers lui celui qu’il prétend secourir.

Il suffirait pourtant qu’il le laisse partir. Que le jeune homme re­prenne la route librement. Qu’il quitte ce décor antique. Ces vieilles pierres faussement rassurantes. Ces poutres qui tombent en ruine et offrent mille dangers. Il suffirait qu’il prenne le large. Vers son salut.

Quoi !

tu regardes la paille

dans l’œil de ton frère ; et la poutre

qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore :

Comment vas-tu dire

à ton frère : “Laisse-moi enlever

la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre

dans ton œil à toi ? Hypocrite !

Enlève d’abord

la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille

qui est dans l’œil de ton frère.

(Matthieu 7, 3-5)

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La Parabole de la paille et de la poutre

Domenico FETTI, 1619

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